La crise de la filière automobile en Algérie

Concession automobile algérienne
Concession automobile algérienne

Le secteur de l'automobile en Algérie est un sujet épineux pour le gouvernement actuel. Il y a plus d'une décennie, le gouvernement de M. Ouyahia de l'époque du président M. Bouteflika, avait fait le constat que le secteur de l'automobile coûtait très cher à l'économie. L'Algérie devant importer les véhicules de l'étranger, cela pesait sur la balance commerciale du pays et entraînait une sortie trop importante de sa richesse intérieure vers les pays producteurs.

Le gouvernement, en 2017, a donc eu l'idée de suspendre les importations de véhicules neufs et de créer des partenariats avec les constructeurs automobiles pour créer, en Algérie, des usines d'assemblage de véhicules. L'idée était de pouvoir importer des pièces détachées qui allaient faire baisser le coût des importations par rapport aux coûts que représentaient les importations de véhicules neufs, mais aussi de créer des emplois qui allaient bénéficier directement aux Algériens. De plus, cette force de travail algérienne allait pouvoir bénéficier d'un transfert de compétences au contact des constructeurs automobiles.

Par ailleurs, les dirigeants ont probablement sous-estimé les dommages que ce changement allait entrainer: la mort des concessionnaires automobiles de véhicules neufs, jusque-là importés, ou encore la hausse des prix à la vente pour le consommateur final. De plus, c'était sans compter sur la corruption des directeurs des usines d'assemblage automobile ainsi développés dans le pays et le sabotage de la réforme. Les patrons d'usine ont utilisé la transformation du secteur automobile pour sur-facturer la production de leurs véhicules, ont triché sur les taxes et ont massivement détourné de l'argent. C'est un scandale qui a éclaté en 2019 et a envoyé, derrière les barreaux, de nombreux dirigeants d'usine d'assemblage mais aussi des hommes politiques.

Et c'est cette situation dont le président Tebboune a hérité. Dans la panique, ce sont les pièces détachées et d'assemblage automobile qui ont été interdites à l'importation en 2020, sonnant ainsi le glas des usines d'assemblage automobile dans le pays. Actuellement, le gouvernement étudie les possibilités d'importer à nouveau des véhicules neufs de l'étranger, mais ne ferme pas la porte complètement non plus à une éventuelle reprise de l'activité d'assemblage de véhicule sur le territoire.

En attendant, le bilan est mauvais: des milliers d’emplois ont été perdus et des centaines d'intermédiaires sont dans l’attente d’une solution pour le secteur. Depuis plus d’une année, il n’y a ni importation, ni assemblage dans les usines algériennes. Le secteur est en pénurie de véhicules neufs à proposer aux consommateurs, ce qui crée évidemment un déséquilibre entre l’offre et la demande. Cela a mécaniquement provoqué une flambée des prix des véhicules d’occasion. L’Algérie a perdu également une grande partie de sa force de travail qui avait eu le temps de développer des compétences dans les usines d’assemblage automobile. Ces Algériens ont quitté le pays pour s’installer à l’étranger.

Pour illustrer cette situation, nous avons choisi de vous retranscrire l'interview de M. Tayeb Mahyaoui, distributeur de la marque automobile française Peugeot en Algérie, réalisée par le média DZ News.

Plus de 100 000 emplois perdus dans la distribution

A Oran, les showrooms de vente de voitures neuves, situés au bord de l’autoroute de l’aéroport, sont désertés depuis quelques années, en raison de l’indisponibilité des véhicules du fait de la suspension des importations. A l’intérieur, il n’y a ni voitures, ni clients. Les showrooms des concessionnaires qui grouillaient de monde auparavant, sont depuis désertés.

M. Tayeb Mahyaoui raconte: "Il y a cinq à six ans, il y avait entre 1500 et 1600 distributeurs et 40 marques de véhicules importées. Nous avions un personnel formé dans la maintenance, mais ce personnel, cela fait quatre ans qu’il est parti". Il a précisé qu’il a dû licencier 120 personnes suite aux décisions de stopper les importations de véhicules neufs. "Quand on multiplie les licenciements que j'ai été contraint de faire par 1500 ou 1600 distributeurs, ce sont plus de 100 000 emplois de perdus dans la distribution. Alors que l'activité d'assemblage dans les usines n'a pu créer qu'environ 8 000 à 10 000 emplois. Alors quel est l’avantage? On lance une industrie pour créer de l’emploi. Si on ne crée pas d’emplois, à quoi ça sert?"...

Une Peugeot dans les années 1960
Une Peugeot dans les années 1960

La solution: importer 250 000 véhicules neufs par an

M. Mahyaoui a une explication concernant la hausse des prix des véhicules. Une hausse des prix visible dès la mise en oeuvre des usines d'assemblage automobile: "Nous, les distributeurs, nous payions la TVA et les droits de douanes et nous vendions à des prix raisonnables. Mais les patrons d'usines d'assemblage, eux, ne payaient pas la TVA ni les droits de douanes. Pour autant les prix des véhicules ont doublé".

Il illustre ses propos avec l’exemple de la Renault Symbol. Lorsqu'elle était importée avant 2017, elle affichait un prix de vente aux clients de 1 000 000 DA environ (6 300 euros), alors que lorsque ce même modèle sortait des usines locales d'assemblage, son prix était de 1 800 000 DA (11 300 euros), soit presque deux fois plus cher.

Pour donner une idée précise de la situation aberrante du marché automobile de l'occasion, il a donné l’exemple d’une Toyota de 85 ch, 1L, année 2005, dont le prix avoisinait les 2 800 000 DA (17 600 euros). Il rappelle que partout dans le monde, un tel véhicule ne vaudrait pas plus de 500 000 DA (3000 euros). Une voiture d'occasion, de plus de 15 ans, se vend donc en Algérie en 2021 plus d'1,5 fois le prix d'une voiture neuve sortie des usines locales, ou encore 2,8 fois plus cher qu'une voiture neuve lorsqu'elle était importée.

M. Mahyaoui ajoute: "On n’a pas compris comment les prix ont augmenté. C’est vrai, il y a la dévaluation du dinar. Mais, il devrait y avoir 20 à 30% d’augmentation des prix, mais pas le double, ce qui est beaucoup trop. Il faudrait réguler l’importation en la plafonnant à 350 milliards de DA (2,2 milliards d'euros) ce qui devrait représenter 250 000 véhicules importés par an. Ce serait suffisant pour alimenter tout le marché algérien.".

M. Mahyaoui a tenu a rappeler deux règles simples d'économie générale pour expliquer et corriger la situation actuelle: "Quand la demande est plus importante que l’offre, les prix augmentent. Mais dès qu’il y a abondance de l’offre avec la concurrence, les prix baissent".

Auteur :
Mis en ligne : Mardi 2 Novembre 2021
 
Dans la même thématique