Ashab wal Aziz, le premier film arabe Netflix provoque un tollé

Appartement qui a servi au tournage du film
Appartement qui a servi au tournage du film

Le film "Ashab wal Aziz" ("Mes amis et mes proches", en français) est disponible sur Netflix depuis le 20 janvier 2022. "Ashab wal Aziz" est une version libano-égyptienne du film italien "Perfect Stangers": 7 amis se retrouvent dans un appartement pour diner. Lors du repas, ils décident de se prêter à un jeu qui paraît au préalable innocent et amusant consistant à faire partager, à tous et sans tricher, tout message ou appel qu'ils recevraient sur leur téléphone, le temps de la soirée. Un jeu qui vire au cauchemar tant les révélations et secrets dévoilés jettent un froid entre des personnes qui se pensaient amis jusqu'alors.

Un bad-buzz pour "Ashab wal Aziz"?

Alors que le film n'est visionnable que depuis quelques jours, les utilisateurs sur les réseaux sociaux et les critiques de films l'ont déjà beaucoup commenté. Bien que le film mette en scène de grands acteurs célèbres libanais et égyptiens, le public semble ne pas avoir aimé "Ashab wal Aziz".

Il n'y a aucune scène de nu, de violence ou de moments choquants en soi, mais les spectateurs se sont sentis très mal à l'aise à cause de l'ambiance et des dialogues. La trahison de l'amitié, les petits secrets entre proches, l'infidélité, sont des actes que le public ne veut pas voir se normaliser dans la société, or ce film, comme toutes les productions Netflix, ne met pas en scène ce genre d'histoires par hasard. Il s'agit de scènes banales de la vie courante pour des Occidentaux, mais qui sont considérées comme choquantes ou sans aucune morale pour les sociétés arabes, et donc condamnables.

Les artistes volent au secours du film "Ashab wal Aziz"

"Ashab wal Aziz" a obtenu un grand nombre de visionnages depuis son lancement sur la plate-forme Netflix. Il figure parmi les 10 films ou séries télévisuelles les plus vues en Égypte, surpassant un certain nombre d'oeuvres étrangères.

Le film met en vedette des acteurs célèbres tels que Mona Zaki, Iyad Nassar, Adel Karam, Nadine Labaki, Diamond Abboud, George Khabbaz, Fouad Yammine. La réalisation est signée Wissam Samira, c'est sa première expérience en tant que réalisateur. Bien que l'affiche compte de grands acteurs, ce que les chiffres ne disent pas, c'est que les spectateurs ont globalement rejeté ce film. Si les gens commentent beaucoup ce film sur les réseaux sociaux ces derniers jours, c'est essentiellement pour en parler en mal.

Pour éviter un naufrage auprès du public, des artistes ont pris la parole pour apporter leur soutien au film comme aux acteurs. L'actrice Elham Shaheen fut la première à monter au créneau et n'a pas gardé sa langue dans sa poche: "Ce film ne contient aucune scène choquante mais seulement des dialogues comportant des expressions audacieuses. Bravo Mona Zaki, une artiste mature et honnête! Une performance merveilleuse!". L'actrice égyptienne a estimé qu'il s'agissait d'un beau film qui traitait des problèmes actuels de la vie avec des personnages qui existent chez les gens ordinaires. Elle estime que les sociétés arabes souffrent de problèmes bien plus graves que ceux évoqués dans le film et elle ne comprend pas pourquoi, de ce fait, cela suscite un tel tollé. Par ailleurs, elle estime que les gens n'aiment pas Netflix habituellement. La plate-forme est ignorée, en temps normal, par les traditionalistes et conservateurs; alors pourquoi aller voir ce film si cela ne correspond pas à leurs valeurs? Mais l'intervention d'Elham a engendré encore plus de commentaires négatifs sur les fils de discussions ...

La chanteuse libanaise Elissa a également apporté son soutien publiquement. Elle a tenu à saluer et encourager tous les participants du film. Elissa a également ajouté: "Je soutiens en particulier la compétente Mona Zaki, qui subit beaucoup de dénigrement... Je lui envoie tout mon amour.". Elissa estime que les critiques envers ce film sont exagérées car d’anciens films arabes avaient également raconté des histoires ou des scènes audacieuses. Selon elle, il faut accepter ce film dans l'intérêt du progrès, ou alors, que ceux qui ne veulent pas regarder le film, ne le regardent pas! Elissa a affirmé qu'elle avait beaucoup aimé ce film.

On peut aussi noter l'intervention de l'artiste égyptienne Sawsan Badr qui a décidé d'envoyer un message de soutien à l'actrice Mona Zaki en publiant sa photo sur "Instagram", et en ajoutant pour commentaire: "J'ai aimé ton film qui raconte une belle histoire. Un film qui met en exergue ton authentique talent, la confiance que tu as en toi et en ton art".

Autre tentative notable pour contourner le bad-buzz du film: une interview de Carl Gerges, le propriétaire de l'appartement à Beyrouth qui a servi de lieu de tournage du film. Dans cet entretien qui essaye de faire oublier les critiques, M. Gerges couvre de louanges l'équipe de Netflix en s'exprimant ainsi: "Mon appartement a été filmé pour le premier film arabe original sur Netflix, dont je trouve le personnel formidable: dire que le film est maintenant disponible dans 190 pays… Voici quelques-unes des photos nocturnes que j'ai prises pour cette occasion". On apprend que M. Gerges est musicien, le batteur du groupe Mashrou' Leila, et profite de l'aubaine pour faire la promotion de sa formation musicale.

Famille arabe avec couple et enfants
Famille arabe avec couple et enfants

Le public arabe rejette Netflix!

On pourrait répondre à ces artistes qui s'offusquent du rejet du public arabe en expliquant que la déception vient du fait que Netflix ait annoncé qu'il s'agissait du premier film arabe sur la plate-forme de streaming. Mais il s'agit plutôt d'un film occidental, joué par des acteurs arabes qui veulent à tout prix exister dans le monde occidental. Le public s'attendait probablement à un film arabe, une histoire qui reflète les valeurs des sociétés arabes actuelles: ils ont peut-être eu le sentiment d'avoir été dupés.

Le public arabe a globalement étiqueté Netflix et certains médias américains comme des néo-colonisateurs qui exportent leur idéologie à travers les arts, et bien que de nombreux artistes arabes rêvent de faire partie de ce monde occidental, le public n'adhère pas. Il y a d'ailleurs de nombreux artistes qui ont fini par comprendre les attentes du public et qui se sont complètement métamorphosés: après avoir été des influenceurs du style de vie occidental, ils se sont tournés vers l'Islam, ont fait amende honorable auprès du public et, pour certains, ont même arrêté leur carrière d'artiste!

Au delà de l'art et des biens culturels, il y a un fort mouvement de rejet de la décadence qu’inspire l'Occident dans l’opinion publique musulmane et arabe. Mohanna Al-Hubail est un intellectuel conservateur vivant pourtant en exil pour avoir défendu les droits civiques en Arabie Saoudite. Il explique ce rejet par le fait que le public arabe ne croit pas en l’émancipation des individus dans la société occidentale, lorsqu'elle affiche si peu de valeurs morales et une si grande quantité de conduites décadentes.

Mohanna al-Hubail
Mohanna al-Hubail

Les populations arabes avaient nourri le rêve de faire progresser leurs pays respectifs avec plus de démocratie, plus d'implication de chaque citoyen dans la vie publique et où l'Etat assurerait la liberté, l’égalité et les droits des citoyens. Ces rêves étaient l'objectif des "printemps arabes" qui se sont soldés par des échecs. Des organisations et médias occidentaux ont exploité cette frustration de manque de liberté et de démocratie pour tous, mais uniquement sous l'angle des questions de genre, plus généralement, de la nouvelle doctrine "woke". Pour autant, les peuples arabes n'en veulent pas, ce n'est pas l'idée qu'ils se font de la liberté, au contraire, cela est vu comme un néo-colonialisme, un nouvel asservissement. Malgré tout, on voit des artistes et des jeunes, qui, par ignorance, ou par conviction, ont repris les thématiques woke dans des médias et blogs pour en faire la promotion et les diffuser dans le monde arabe.

Les géants des réseaux sociaux, Netflix et autres sont les vecteurs d'une uniformisation mondiale de cette néo-culture qui n'est en aucun cas une libération de l’individu mais plutôt une nouvelle tyrannie. Si les sociétés arabes sont divisées, les gens ne veulent pas de ces valeurs qui vont à l'encontre de la famille arabe, le pilier central de la société arabe. Mais si les sociétés arabes restent fragiles face à ces thématiques, c'est la faute aux islamistes qui n'ont pas réussi à offrir la liberté que chaque citoyen demande. Au lieu de garantir la liberté, on continue d'imposer la conduite que chacun doit observer... Et on se cantonne à cela!

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Mis en ligne : Mardi 25 Janvier 2022
 
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