Sofia Alaoui s'exprime à propos de son film Animalia

Sofia Alaoui
Sofia Alaoui

Sofia Alaoui, née en 1990 à Casablanca, est une réalisatrice et scénariste franco-marocaine. Elle a récemment réalisé un film, Animalia, qui sera dans les salles le 9 août. Voici une interview de Sofia Alaoui réalisée le 16 juillet 2023 par Hala El-Mawi pour Al-Ahram Hebdo.

L'intrigue du film Animalia

Itto, une jeune Marocaine d’origine modeste, vit dans l’opulence avec son mari et sa famille. Alors qu’elle se réjouissait à l’idée de passer une journée tranquille sans sa belle-famille, des événements surnaturels plongent son pays dans l’état d’urgence. Des phénomènes de plus en plus inquiétants suggèrent qu’une présence mystérieuse approche. Seule, elle peine à trouver de l'aide…

Comment est née l’idée du film ?

Sofia Alaoui : J’ai le sentiment que, souvent, nous sommes piégés par la pensée unique qui nous a formatés et qui empêche, à mon sens, une réflexion profonde et une remise en question des choses établies : de nos modes de vie, de nos croyances. C’est très difficile d’en sortir et d’avoir du recul sur soi et sur son environnement. C’est pour cela que je souhaitais confronter mes personnages et leurs réseaux de croyances à l’existence d’extraterrestres qui les bouleverserait alors profondément.

Dès mon plus jeune âge, j’ai baigné dans plusieurs cultures, ma mère est chrétienne, mon père est musulman et j’ai passé plusieurs années en Chine. Tout ce qui est en rapport avec la croyance, la compréhension du monde qui nous entoure, m’a toujours intéressée. Je me posais beaucoup de questions sur l’univers. J’aimais voyager seule. J’ai habité à l’étranger pendant 8 ans et quand je suis rentrée au Maroc, où je suis depuis 7 ans, j’ai été confrontée à cette société qui exige des femmes de se conformer à certaines coutumes. Et pour moi, la façon d’appliquer la religion est très dogmatique. Alors j’avais envie de questionner ma société, mais pas d’une façon brutale. Je vis dans cette société et finalement, tous ces gens sont des amis, des proches de la famille. Je n’aime pas le cinéma provocateur, j’aime la douceur et je voulais questionner ma société d’une manière divertissante. J’essaie d’être respectueuse de tout ce qui nous entoure. Du coup, le registre du surnaturel est venu naturellement pour moi.

Dans le film, je voulais montrer que nous sommes tous connectés les uns aux autres dans l’invisible et cela est prouvé sur le plan scientifique. Par exemple, le vide autour de nous dans cette pièce n’est pas un vide. La science valide cela et c’est génial. Je dois dire que je me suis grandement documentée sur la physique quantique avant de réaliser ce film. Dans de nombreux mythes, l’âme d’un être peut vivre à l’intérieur d’un autre être. Je cherchais une manière de représenter cette présence.

Parler de la métaphysique ou questionner la croyance dans une société conservatrice est tabou. Y-avez-vous pensé ?

Je ne voulais pas faire un film tabou. Quand on le fait, ça choque et c’est toujours mal vécu dans le pays. On a la chance d’avoir des gens ouverts d’esprit, nous avons un ministre de la Culture jeune, mais je pense que la société n’est pas prête à tout entendre.

D’après le film, on voit que vous êtes une personne engagée. Vous condamnez la bourgeoisie marocaine et vous vous rangez du côté des sans-voix …

J’ai fréquenté le lycée français et ai grandi dans un milieu où j’ai côtoyé la bourgeoisie marocaine. Dans le film, je montre une bourgeoisie qui ne pense qu’à l’argent, qui méprise son pays et ne parle que le français. On oublie que le Maroc est un pays berbère. Que cette classe élevée de la société marocaine ait un rapport à la langue très compliqué est une honte ; c’est un racisme qui vient de l’intérieur. On est raciste vis-à-vis des gens de notre pays, c’est absurde. Moi, je suis d’origine berbère et fière de l’être !

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Mis en ligne : Jeudi 3 Août 2023
 
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