L'Egypte serait la main invisible derrière le coup d'Etat au Soudan

Al Burhan et Al Sissi
Al Burhan et Al Sissi

Le Wall Street Journal a révélé que le militaire et leader du coup d'État récent au Soudan, le général Abdel Fattah al-Burhan, avait pris une série de mesures géopolitiques audacieuses et bienvenues, la veille de son action, contre le pouvoir en place.

Le journal américain a expliqué qu'Al-Burhan avait assuré à Jeffrey Feltman, l'envoyé américain au Soudan, qu'il "n'avait pas l'intention de prendre le pouvoir". Après s'être entretenu avec Feltman, M. Al-Burhan s'est rendu par avion en Égypte pour tenir des pourparlers jusqu'à présent secrets. Il aurait alors reçu l'assurance du soutien des Egyptiens pour réaliser son coup d'Etat.

Al-Sissi soutient Al-Burhan

Le Wall Street Journal affirme qu’Abdel Fattah al-Sissi avait même exhorté Al-Burhan à mener à bien le coup d'État, selon trois personnes présentes à la réunion. Rappelons que Al-Sissi avait lui-même pris le pouvoir lors d'un coup d'État en 2013 avec le soutien de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. A son retour à Khartoum, le général Al-Burhan a arrêté des dizaines de responsables politiques, dont le Premier ministre.

De plus, le journal américain a sollicité les porte-paroles d'Al-Burhan et d'Al-Sissi qui n'ont pas voulu répondre aux demandes de commentaires.

Le coup d'État militaire au Soudan est le quatrième en Afrique cette année. Ce renversement du pouvoir démontre à quel point la situation du continent est instable politiquement mais aussi pointe du doigt les influences internationales de plus en plus complexes. De plus, les prises de contrôle des pays africains sont réalisées par les militaires qui ne tiennent pratiquement jamais ce rôle politique et d'administration dans d'autres parties du monde.

Une "mode" des coups d'État par l'armée?

Des militaires en Guinée, au Tchad et au Mali ont repris le pouvoir, ces derniers mois, des mains de gouvernements faibles, vulnérables à l'ingérence étrangère, mais qui ont également mal géré le pays, ont rendu les économies chancelantes et qui, enfin, ont laissé s'instaurer une grande insécurité pour la population. Des tentatives de coups d'État militaires ont également été contrées cette année à Madagascar, en République centrafricaine et au Niger.

Le secrétaire général de l'ONU António Guterres a qualifié cette situation d'"épidémie de coup d'État militaire" en Afrique lors d'un discours qu'il a prononcé à la suite du coup d'État soudanais. Le Conseil de sécurité de l'ONU souhaite intervenir pour redonner le pouvoir aux responsables élus par le peuple en ajoutant ce commentaire: "Certains commandants militaires estiment qu'ils jouissent d'une impunité totale".

Le retour de l'armée à la tête de différents pays s'observe en Afrique au moment même où beaucoup espéraient que la démocratie s'enracinerait dans des régions qui avaient justement souffert de périodes très longues de militaires au pouvoir, autrefois. Ce "retour en arrière" a lieu trois décennies après que de nombreux pays d'Amérique latine et d'Asie du Sud-Est ont réussi leur transition du régime militaire à la démocratie. En Afrique, l'année 2021 a donc quadruplé le nombre de coups d'État par rapport à l'année 2020 durant laquelle seul un coup d'Etat au Mali avait eu lieu.

Corruption, mauvaise gestion et pauvreté

Dans ce contexte, Jonathan Powell, professeur adjoint à l'Université centrale de Floride et expert en coups d'État, affirme que le nombre de coups d’Etat cette année est le plus élevé qui soit depuis 1980. Cela rappelle même les années 1970, après l'indépendance des pays africains lorsque les généraux et les politiciens ont pris le pouvoir. Les militaires pour leur part, déclarent que la corruption, la mauvaise gestion et la pauvreté justifiaient la reprise du pouvoir.

Les diplomates et les analystes estiment que l'une des principales raisons de la recrudescence des coups d'État vient d'une volonté d'un certain nombre de puissances internationales. Ces pays préfèrent traiter avec des régimes autoritaires.

Comme Virginie Baudis, experte sur le Sahel à l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, l'explique: "le manque de réponses fermes et coordonnées a aidé les chefs militaires à rester au pouvoir. En revanche, les putschistes au Niger en 1999 et 2010 ont dû faire face à d'importantes réductions de l'aide internationale. Ils ont été contraints de battre en retraite.".

Il est à noter que le général Al-Burhan devait remettre le pouvoir au Premier ministre Abdullah Hamdok en novembre. Certains manifestants ont imputé la crise économique au gouvernement civil. Par ailleurs, les peuples, très souvent, affichent leur soutien aux militaires.

Pendant ce temps, l'Égypte recherche un soutien international pour son différend avec l'Éthiopie. Différend né de la construction d'un barrage géant qui, selon le gouvernement égyptien, menace d’assécher le Nil, dont l'Egypte a tant besoin pour son fonctionnement.

Sudan, coup d'Etat
Sudan, coup d'Etat

Abbas Kamel à Khartoum avant le coup d'État

Le Wall Street Journal révèle également une rencontre juste  avant le coup d'État au Soudan entre le chef des renseignements égyptiens, Abbas Kamel et le général Al-Burhan. Pour autant, M. Kamel aurait volontairement évité de rencontrer le premier ministre Hamdok.

Ces derniers mois, les dirigeants égyptiens avaient exprimé leur mécontentement envers le Premier ministre soudanais. Ce dernier s'était montré favorable publiquement au barrage éthiopien. En plus, M. Hamdok s'est montré réticent à approfondir les relations avec Israël, principal allié du Caire. Bien que le Soudan ait reconnu l'existence de l'Etat d'Israël l'an dernier, principalement pour se voir retirer de la liste noire des pays soutenant le terrorisme, on le comprend, M. Hamdok continuait à gêner.

Abbas Kamel aurait d'ailleurs déclaré au général Burhan: "Hamdok doit partir". Pendant plusieurs jours, Feltman a fait la navette entre le général Burhan et Hamdok, espérant empêcher l'effondrement de la transition démocratique mise en place il y a deux ans. Feltman avait déclaré: "Lors de la dernière réunion du 24 octobre, il s’agissait de fixer la feuille de route générale de la transition démocratique. Il n'y avait aucun indice ni aucune allusion à un possible coup d'État militaire.".

Le lendemain, le général Burhan dissout le Conseil de souveraineté et le gouvernement de transition. Il a envoyé M. Hamdok en prison ainsi que l'ensemble des responsables politiques civils. Il a déclaré l'état d'urgence pour le pays.

Les États-Unis et les pays européens tentent de désamorcer la crise en discutant de la nomination d'un nouveau Premier ministre civil. Un conseiller du Soudan serait en cours de négociation avec un responsable de la sécurité européenne. Lors des manifestations anti-coup d'État récentes, les millions de manifestants ont scandé dans les rues que Sissi était la main invisible derrière ce coup d'État.

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Mis en ligne : Vendredi 5 Novembre 2021
 
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