Qui est Abdelwahab Bouhdiba ?

Bouhdiba
Bouhdiba

Par Khaled Ben Youssef

Avec la disparition du professeur, la Tunisie perd un grand penseur qui a formé plusieurs générations de sociologues à l’Université tunisienne. Le parcours universitaire d’Abdelwahab Bouhdiba, a toujours été marqué par l’excellence. Après le lycée (de Paris) il rejoindra la Sorbonne pour des études philosophiques et littéraires, couronnées en 1959 par l’obtention de l’agrégation de philosophie. En 1972, il décroche son doctorat d’État. Sa thèse intitulée Islam et sexualité, fut publiée en 1975 sous le titre de La sexualité en islam.

Cet ouvrage dont le succès a dépassé les frontières (et a été traduit en plusieurs langues), continue, jusqu’à nos jours, d’être réédité. Outre cet ouvrage important, le professeur Bouhdiba compte à son actif plusieurs autres publications de référence qui ont consolidé son image de grand penseur auprès des spécialistes et des intellectuels tunisiens et étrangers.

La liste est bien longue, mais à titre d’exemple, je vais me contenter d’en citer quelques-uns: L’islam: ouverture et dépassement, La culture du Coran, Criminalité et changements sociaux en Tunisie, Quêtes sociologiques: continuités et ruptures au Maghreb, L’expérience de l’altérité dans les sociétés musulmanes, Sur les pas d’Ibn Khaldoun (avec Mounira Chapoutot), Kairouan, la durée (avec Mohammed Masmoudi), L’information et la communication aujourd’hui : aliénation et libération et La culture du parfum en Islam...

Directeur général du Centre d’études et de recherche

Professeur émérite à l’université de Tunis, Abdelwahab Bouhdiba a occupé plusieurs hautes fonctions. C’est ainsi qu’il a dirigé pendant plusieurs années le département de sociologie à la faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis, avant d’être nommé, de 1972 à 1992, directeur général du Centre d’études et de recherches économiques.

Professeur Bouhdiba s’est vu décerner plusieurs prix comme le Prix Sharjah pour la Culture arabe, en 2004, et le prix Ibn Khaldoun pour la promotion des études et des recherches en sciences humaines et sociales, en 2015.

Il avait le sens de la perfection et cela se reflétait dans sa méthodologie de travail et dans ses analyses scientifiques profondes et pertinentes. Malgré son immense savoir et sa grande culture, ce fut un homme modeste et respectueux.

Professeur Bouhdiba traducteur

Un jour, lors d’un colloque, le professeur Abdelbaki Harmassi, alors ministre de la Culture, avait pris la parole pour annoncer l’ouverture du colloque en question. Seulement, il s’est contenté de donner une allocution en langue arabe, omettant de bonne foi la présence de plusieurs invités occidentaux. Devant cette situation gênante, Abdelwahab Bouhdiba, qui tenait profondément au respect de ses hôtes étrangers, avait retenu le ministre, qui s’apprêtait à quitter la salle en raison de son calendrier chargé, et l’avait prié, en toute délicatesse, de rester encore quelques instants afin de l’écouter dans la traduction en langue française de son discours. Le professeur Bouhdiba s’est mis alors à traduire instantanément et d’une manière magistrale le discours de monsieur Harmassi lequel était stupéfait. Cette traduction élégante et fidèle (presque) dans tous ses détails a suscité l’admiration de tous les invités qui ont apprécié ce geste à sa juste valeur au point qu’ils ont bombardé la salle d’applaudissements.

Un pont entre les cultures différentes

Monsieur Bouhdiba a su trouver l’équilibre entre l’éducation classique qu’il a reçue au sein de sa famille à Kairouan, dans une ambiance plutôt proche des principes religieux, et les fondements de la civilisation occidentale qu’il a reçus de par ses lectures et sa formation philosophique. Il a su concilier  les deux cultures pour défendre les valeurs universelles et prôner un islam modéré reniant le radicalisme et le repli sur soi, et appelant à l’amour et à la tolérance. Il croyait beaucoup en cette richesse que peuvent apporter le dialogue et le rapprochement des cultures et des civilisations. Il avait organisé plusieurs colloques et conférences traitant de ce sujet, tellement cette idée lui tenait à cœur.

Parmi les moments forts qu’il a pu éterniser à Beït al-Hikma, je peux citer: les Rencontres internationales de Carthage (avec une série de colloques traitant de sujets philosophiques et scientifiques d’une extrême importance), la célébration du sixième centenaire d’Ibn Khaldoun, le neuvième centenaire d’Abu Hamed Al-Ghazali, les journées internationales de la calligraphie arabe, la grande manifestation Kairouan: capitale de la culture islamique, les centaines d’ouvrages publiés dans différents domaines scientifiques dont ceux qui entrent dans le cadre de la stratégie nationale de la traduction ; sans oublier l’analyse de nombreux manuscrits importants à l’instar des œuvres d’Ibn al Jazzar.

Grâce à lui, l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts Beït al-Hikma a noué des relations fructueuses avec des institutions internationales à l’instar de l’Union académique internationale, le Réseau des académies des pays européens, l’Unesco, l’Irsica, l’Isesco et bien d’autres. De par ses vastes connaissances et son rayonnement international, l’Académie a pu enrichir sa liste d’amis, ce qui lui a permis d’inviter plusieurs sommités d’envergure mondiale telles que Paul Ricœur, Edgar Morin, Georges Balandier, Salah Stétié, Dominique Chevalier, Raymond Daudel... pour ne citer que ceux-là.

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Mis en ligne : Samedi 20 Février 2021
 
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