Emergence de riches et d'une classe moyenne noire en France

Homme noir en costard
Homme noir en costard

Si les succès ne manquent pas, la classe moyenne noire reste difficile à cerner, car elle est disséminée, sans représentants. Des Noirs appartenant à la classe moyenne, ou même franchement riches, il y en a de plus en plus, comme l’instagrameur millionnaire noir Davido Adeleke. Chacun de ses posts lui permettrait d’encaisser 74 000 dollars !

Tout le monde connaît le Nigérian Aliko Dangote. Ce milliardaire nigérian dont la fortune s’élevait à 16,8 milliards de dollars au cours des six premiers mois de l'année 2019 a fait fortune dans l’industrie ; à la fin des années 1980, inspiré par le modèle industriel brésilien, il se lance dans la construction d’une raffinerie de sucre et une usine d'emballage pour les pâtes alimentaires que le groupe importe au Nigeria. Son frère, Sani Dangote, est un de ses proches dans la gestion de ses milliards, certes, il est critiqué pour avoir évincé des concurrents et fait jouer ses relations avec le pouvoir politique, notamment la dictature militaire en place jusqu’en 1999 ou en favorisant la candidature du président Olusegun Obasanjo, un militaire et homme d’Etat nigérian. Voilà pour l’Afrique. Mais en France aussi, les choses bougent.

Depuis l'élection de Barack Obama, les associations noires françaises réclament de la visibilité et des postes prestigieux. Mais existe-t-il en France, l'équivalent de la classe moyenne noire qui a soutenu depuis des années, l'ascension de candidats et de cadres afro-américains ? Pas encore. Les Noirs de France en métropole, font partie de l'immigration récente. Ils seraient cinq millions assurent certaines associations toutes prêtes à enrôler la moindre peau bronzée pour peser en politique. "Un chiffre farfelu", répond la démographe Michèle Tribalat. Les estimations les plus fiables reposent sur un sondage du CSA de 2007 et font état de 1,7 million de personnes de plus de 18 ans, Antillais inclus. Au maximum, si l'on intègre les plus jeunes, ils représenteraient 4 % de la population française. Et une petite classe moyenne émergente. Car l'essentiel des Africains sont arrivés en France après 1976, rappellent Stephen Smith et Géraldine Faes dans leur ouvrage Noirs et Français ! (éditions du Panama). D'abord des travailleurs isolés, qui n'avaient pas besoin de visas. Suivis par leurs familles. Puis un flux croissant de ressortissants de pays en guerre.

Dans les années 1990, la société française redécouvre ses nouveaux Noirs. Ils ne sont plus l'élite issue des colonies, ces poètes ministres comme Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor.

Olivier Bouchez, pharmacien, a lui grandi dans une cité à La Courneuve. À mesure que des familles africaines s'installaient, cet Antillais s'est senti sommé de choisir entre les Blancs et les Noirs. "Avec les années, j'ai compris que je serai noir de toute façon aux yeux des Blancs.". La recherche d'un logement dans le XVe arrondissement de Paris s'est avérée éprouvante, "je voyais la déception lorsque les agences découvraient mon visage.". Il a fini par s'installer… en banlieue. Comme lui, des copains noirs affichant de bons salaires ont essuyé les mêmes vexations. SOS-Racisme a lancé des procès contre des agences qui codaient les clients pour éviter les Noirs, à la demande de certains propriétaires. Car, malgré Harry Roselmack, star de TF1, la nouvelle classe moyenne noire n'a pas encore les faveurs du public.

Ces nouveaux cadres relatent les conseils des parents, "être irréprochable, être bien habillé", les mots reviennent comme un code de réussite. "Depuis tout petit, mon père m'a expliqué qu'un Noir devait aller vêtu comme un pape", raconte Olivier, un Franco-Éthiopien. Financier à la Banque mondiale, il commence juste à se relâcher.

La montée en puissance d'une génération diplômée contraste complètement avec la figure d'un délinquant noir, qui a fait irruption sur les écrans, chroniquement, habillé d'une veste à capuche ! Au "bon Noir" des années 1920, à l'étudiant au français raffiné s'est brutalement substituée l'image du nouveau migrant, venu des régions rurales du fleuve Sénégal. Maliens, Mauritaniens, Sénégalais fuyant la disette, souvent analphabètes. En France, ils ont conservé des foyers dimensionnés pour l'Afrique.

Cet afflux de Subsahariens s'est concentré dans certains quartiers, comme le montre Michèle Tribalat dans son enquête sur le voisinage à Paris. Et ces arrivées massives ont frappé les esprits et les médias. Lors des émeutes de 2005, le sociologue Hugues Lagrange avait montré une corrélation entre les villes où la jeunesse était particulièrement nombreuse et les familles les plus larges, pour la plupart africaines. Au flux, s'est ajoutée la concentration. Les enfants de famille africaine vivent dans un univers moins mélangé que les générations précédentes d'immigrés.

François, né en métropole de mère martiniquaise dira, lui, "Nous attendons trop souvent une place réservée dans la fonction publique.". Comme leurs parents, spécialement embauchés dans les îles pour pallier le manque de fonctionnaires dans les années 1970, les jeunes Martiniquais attendent un emploi dans la fonction publique. Depuis, les Antillais sont restés nombreux dans l'administration, avec des filières à l'hôpital, La Poste, les prisons… "mais sans accéder à la classe moyenne", regrette-t-on au secrétariat à l'Outre-Mer, où l'on évoque plutôt des cols blancs précarisés. Mais l'université rebat les cartes. Doucement.

Fondée en 2005, une association qui plaide pour une plus grande visibilité des noirs, a tenté de faire exister un "nouvel homme noir". Mais l'organisation est en voie d'éclatement, sa légitimité contestée de toute part, comme si la couleur de peau, ne suffisait pas à forger un rêve unique.

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Mis en ligne : Samedi 31 Octobre 2020
 
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